Journal de bord de Fernando de la Cruz - Chapitre I
23 avr. 2004Jamais je n'aurais pensé écrire un jour un journal... Il faut dire que je ne suis pas homme de lettres, mais aux vues des événements récents, je préfère écrire ce témoignage que devenir fou !Par où commencer... ? Je m'appelle Fernando de la Cruz (sait-on jamais, avec tout ce qui m'arrive, cela ne m'étonnerait pas que j'en arrive à oublier un jour mon propre nom...), et j'étais jusqu'à présent membre d'équipage de la marine royale espagnole. Les bateaux sur lesquels j'officiais transportaient l'argent extrait des mines du Cerro Rico (à Potosi) jusqu'en Espagne. C'est un métier à risque aux vues des nombreux pirates écumants les mers, mais payé en conséquence. Et je dois avouer que j'y trouvais mon compte, au moins jusqu'à aujourd'hui.
Je ne sais plus exactement quand tout a commencé à partir de travers, mais depuis je n'y vois plus très clair. J'ai eu un mauvais pressentiment dès le début pour ce voyage, quand nous sommes partis sous une tempête alors que nous aurions pu facilement attendre que le grain passe. Mais si ce n'était que ça... Après une semaine de voyage, aux environs de la mer des Caraïbes, nous nous sommes fait attaquer par des pirates. Mais ceux-là avaient bien préparé leur coup et nous avons dû fuir au plus vite en espérant réparer la casse plus tard... Nous priions Dieu pour pouvoir nous en sortir vivant, connaissant la sinistre réputation des pirates, quand une brume que nous avons d'abord crue salvatrice nous est apparue. J'avoue qu'au début personne n'a fait attention aux étranges murmures ressemblant à des pleurs, bien trop heureux d'avoir une occasion d'échapper aux pirates. Mais lorsqu'une sorte d'apparition fantomatique ressemblant à une jeune fille pleurant est apparue, l'inquiétude est vite revenue. Je ne suis guère habitué aux manifestations surnaturelles et ne pouvais savoir si Dieu nous avait entendus et nous montrait une apparition de la vierge, mais je dois avouer qu'en tout cas ce n'est pas l'image de la vierge telle que je me la représentais. Quoi qu'il en fut, à tout prendre, nous préférions rester dans la brume plutôt que de repartir vers une mort certaine entre les mains des pirates. Aujourd'hui encore je ne sais si ce fut une sage décision... Car sans que nous cherchions réellement à suivre l'apparition, nous l'avons suivi (ou dois-je dire qu'elle nous précédait ?) et cela nous a mené droit dans un cyclone ! Manœuvrant tant bien que mal pour en sortir, l'aspect de la mer lorsque nous finîmes par nous en extraire n'était guère engageant : des débris de bateaux gisaient partout où nous pouvions porter le regard ! Et la mer... Quelque chose clochait dans cette mer, quelque chose d'indéfinissable, mais qui ne pouvait échapper aux marins que nous étions. La nuit venue, ce sentiment se renforça, vu qu'aucun de nous ne reconnaissait la moindre étoile ! Désormais bien conscients que nous étions perdus pour de bon, la panique n'a pas manqué d'envahir la plupart d'entre nous, comme si cela était bien nécessaire. Et lorsqu'un poulpe géant d'une vingtaine de mètres de long (oui, j'ai refait plusieurs fois mes estimations en fonction de la longueur de notre navire...) s'est emparé du bateau, la panique a atteint son paroxysme. Ce qui fait que les espèces de monstres marins qui sont montés sur le navire n'ont eu aucun problème à tuer tout ce qui bougeait. Je sais que cela paraît dur à croire comme cela, mais je ne souhaite cela à personne, pas même mon pire ennemi ! Je ne sais pas combien de marins ont eu la même présence d'esprit que moi de ramasser en vitesse ses affaire avant de sauter à l'eau et de s'accrocher à une planche de bois, mais j'ai bien peur que peu d'entre eux aient survécu quoi qu'il en soit. Dieu ait leur âme.
Quant à moi, j'ai dérivé au moins quatre jours avant de trouver un autre infortuné marin. Pensant d'abord qu'il s'agissait d'un de mes anciens compagnons d'équipage, je m'en suis rapproché, mais j'ai réalisé bien vite que c'était en fait l'un des pirates par qui le malheur était arrivé... J'ai souri un instant en pensant qu'il y avait une justice puisqu'ils avaient subi le même sort que nous, avant de réaliser que si justice il y avait, je ne vois pas quel mal nous avions pu faire pour mériter un tel sort ! Vu la situation, je faisais fi du passé bon gré mal gré avec Wilhem le Hollandais pirate. Mais sans vivres et sans eau de pluie pour se désaltérer (quelle ironie quand on pense à toute l'eau qui nous entourait), nous avons fini aussi bien l'un que l'autre par tomber d'épuisement.
Je ne sais combien de temps nous sommes restés étendus sur nos planches à dériver ainsi, mais malgré la surprise passée d'être réveillée par des êtres « humains » armés jusqu'aux dents (et jusqu'aux tentacules pour certains, mais n'anticipons pas trop...), force était de constater que nous étions vivants.
Au début tout n'était pas parfait, vu que les marins qui nous ont recueillis ne parlaient pas les langues classiques (il y en a tout de même un qui a réagi au mot « español », ce qui nous a plutôt encouragés) et que parmi nos sauveurs il y avait une sorte d'humanoïde à tentacules à la place des mains et de la bouche. Mais au final il s'est avéré que le capitaine du navire, Jonas Abrahams, est en fait un Anglais (jamais je n'aurais pensé être un jour si heureux de voir un Anglais !).
C'est lui qui nous a mis au courant de la situation : nous sommes bel et bien arrivés sur un autre monde que la Terre, d'où il semble impossible de s'échapper. Lui est là depuis trois ans et est désormais capitaine de ce navire. Il nous a pris sous son aile et a décidé de nous embaucher en tant que marins et guerriers. Apparemment ce monde est assez violent et plusieurs ethnies y vivent :
- les Atanis, humanoïdes ailés vivant dans les cimes des forêts, êtres assez rares paraît-il ;
- les Doreens, humanoïdes rappelant vaguement des dauphins, assez peu fréquents depuis qu'ils se sont fait décimer par les Kehana ;
- les Graels, humanoïdes démesurés apparentés aux morses qui vivent au Nord où il fait froid ;
- les Kehanas, sorte d'hommes poissons particulièrement malsains si j'en crois ce qu'on m'en a dit ;
- les Krakens, humanoïdes à tentacules très doués pour la Magie (oui, cela aussi choque de prime abord, mais bien que réticent, j'ai pu tester les soins magiques qui sont, ma foi, fort efficaces) ; ils se sont fait décimer récemment par les « trois sorcières » ;
- les Masaquanis, qui ressemblent à des humains en tout point (ce qui peut paraître étonnant de prime abord), si ce n'est qu'ils ont quelque chose, de disons, caricatural... ; c'est l'espèce la plus représentée sur le navire et sur le monde ;
- les demi-Ugaks, qui m'ont été décrits comme des sortes d'humains disproportionnés, violents et peu enclin à réfléchir ;
- les Scurillians, des crabes géants issus d'une manipulation génétique (j'avoue avoir du mal à imaginer un crabe géant qui parle).
Mais venons-en aux trois sorcières citées plus haut. Il semble que l'état du monde aujourd'hui leur soit dû. Il y a environ 13 ans de cela, elles ont été condamnées par l'un des rois Masaquanis à mourir pour sorcellerie, mais elles auraient lancé une malédiction en retour, qui fait qu'il s'est mis à pleuvoir des mois durant, jusqu'à ce que le peuple, très courroucé, tue le roi en question. Depuis, le monde est recouvert par cinquante brasses d'eau. Si désormais il ne pleut plus, les sorcières semblent très puissantes puisque ce sont elles qui ont décimé la flotte de Kraken venu les défier.
Voilà à peu près ce que je sais du monde aujourd'hui. Ah si, il semble aussi qu'il y ait pas mal de navires de « terriens » qui se sont échoués ici, ce qui fait qu'on retrouve des colonies d'Anglais, d'Espagnols, de Français... À tel point qu'il existe une ville nommée New Madrid ! Certains doivent être là depuis pas mal de temps car sur trois guildes de marchands, deux sont terriennes.
La découverte de ce nouveau monde me fait peu à peu oublier le parcours douloureux pour en arriver là, mais je ne sais toujours pas si je dois remercier Dieu d'être encore en vie ou le maudire pour m'avoir envoyé là...
Je viens de me rendre compte que je n'ai pas daté ce journal... Mais j'ai complètement perdu toute notion de date depuis le tragique évènement. J'essaierai de me renseigner sur ce sujet auprès du capitaine. En attendant je ne sais pas si cela est dû à la présence de deux femmes à bord ou non, mais la malchance ne nous a pas complètement quittée : à peine un jour après notre arrivée à bord, voilà que le bateau a heurté un rocher et que nous avons dû nous arrêter au plus tôt pour le réparer. Cela nous a donné l'occasion à Wilhem et moi de descendre sur la terre ferme, ce qui avouons-le, n'est pas désagréable après tant de temps passé à dériver sur une planche.
En parlant des deux femmes, le capitaine leur a demandé de nous apprendre les mœurs et le langage d'ici. La première est petite et a l'air assez hargneuse, tandis que l'autre, une jolie blonde aux yeux bleus, celle qui s'occupe de moi, m'a l'air plus paisible. En tout cas les deux savent se battre, ce qui est plutôt rare par chez nous.
Nous commençons l'apprentissage de la langue, qui effectivement ne semble pas trop compliquée. Pour l'instant il s'agit plus d'apprendre les rudiments du vocabulaire et Wilhem et moi sommes loin de pouvoir nous faire comprendre, mais espérons que cela vienne vite. C'est toujours très énervant de ne pas comprendre ce que disent les gens qui vous parlent.
J'essaie en permanence de m'occuper pour essayer d'oublier le malheur qui m'est tombé dessus, et j'avoue que ce journal m'y aide beaucoup.