Le tombeau de Stoat
02 mai 2005Après quelques tergiversations, nous finissons par prendre le temps de bloquer la dalle dans une position qui nous permettra de fuir plus aisément si jamais nous sommes poursuivis, précaution qui se révèlera inutile au final. Deux heures plus tard, Dalem ouvre la marche dans un large couloir taillé à même le roc. Au fur et à mesure de notre progression, les plaintes semblent s'intensifier. Le couloir s'incline vers le bas, en tournant vers la gauche et après un bon quart d'heure de marche, nous nous rendons compte qu'il semble descendre à la manière d'une spirale dans les profondeurs de la terre. L'ambiance est sinistre. Les plaintes sont de plus en plus fortes et commence à nous gêner les rares fois ou nous nous adressons la parole. Tout le monde est tendu, aux aguets.
Au bout de trois quarts d'heure, le couloir débouche sur une salle relativement spacieuse, au milieu de laquelle une ouverture plonge dans le noir. Nous inspectons cette salle et découvrons avec beaucoup de précautions l'origine de ses pénibles plaintes. Il semblerait qu'elles proviennent des minuscules trous percés dans les murs d'où de l'air s'échappe. Le sifflement de l'ensemble donnent l'illusion de voix d'outre tombe.
Kasastan jette une torche presque entièrement consumée dans le trou. La torche tombe six mètres en contrebas où elle n'éclaire qu'un sol semblable à celui que nous arpentons depuis déjà presque une heure. L'endroit est étrange, mais mes camarades sont décidés à percer son mystère, aussi, Inès sort un grappin et une corde de son sac, l'assure dans un coin de l'ouverture et s'élance dans le vide.
A peine a-t-elle posée le pied par terre que d'inquiétant cliquetis se font entendre auprès d'elle. Une épée fend l'air et vient s'écraser contre son flan. La blessure à l'air aussi sérieuse que son auteur semble redoutable, un grand squelette accompagné par trois de ses servants. Sans l'ombre d'une hésitation, Dalem saute plus qu'il ne descend, en se guidant à l'aide de la corde alors que Kasastan rayonne soudainement de magie.
Avant que Jarod, abasourdit par les évènements ne se réveille pour voler au secours de sa sœur, je lui confère un pouvoir de résistance afin que ces créatures ne puissent que difficilement lui faire du tord. Me sentant alors impuissant face au drame qui se joue six mètres plus bas, je cherche à toute vitesse une manière de venir en aide à mes compagnons qui semblent submergés par ses créatures maléfiques. Je recherche dans mon sac un objet lourd que je pourrais jeter sur le plus grand d'entre eux qui s'en prend à Inès. Seule notre tente, à Thorson et à moi, me vient à l'esprit. Alors que Kasastan incante à nouveau striant la pièce de raie de lumière blanche, je balance celle-ci et, par un heureux hasard, elle s'écrase sur le grand squelette qui s'écroule dessous et s'emmêle dedans. Ce moment de répit permet à Dalem et à Jarod de reprendre le dessus. Inès quand à elle, s'était réfugiée à proximité de Dalem mais elle semble en difficulté, je décide alors de descendre afin de l'aider. Je tente de la soigner mais un squelette la frappe brutalement et elle tombe par terre inconsciente. Le squelette se tient devant moi dans toute son horreur... Un instant le doute m'envahi, mais je me ravise et me baisse au chevet d'Inès alors qu'une lame m'effleure le crâne. Je pose délicatement mes mains sur la blessure profonde et je laisse l'énergie se déverser et couler, nettoyant la plaie. « Tiens bon petite humaine et reviens parmi nous. » lui dis-je en Sylvestre de façon apaisante. « Il est encore trop tôt pour que la mort ne te rappelle. ».
D'un bond je me relève et me faufile derrière le squelette que Kasastan vient juste d'engager. Je ne l'ai pas vu descendre, il a la main un Morgenstern qui de temps en temps luit d'une lumière ne semblant pas provenir des torches, mais ses attaques sont aussi lamentables que les miennes. A deux ou trois reprises le deux fois nés l'attaque et bien qu'étant derrière lui, il semble disparaître à chaque fois que j'essaye de lui porter un coup. Tout d'un coup, Inès surgit, brandissant une torche et l'écrasant sur le crâne de la créature. Une gerbe d'étincelle accompagne son effondrement en un tas d'os sans vie et Kasastan porte sa main libre à son visage essayant d'étouffer les flammes provenant d'un morceau de tissu imbiber d'huile.
Alors que je lui porte secours, un fracas retenti derrière moi. Le grand mort-vivant vient de tomber à son tour. Le silence gagne petit à petit le tombeau.
Une fois l'hébètement de la fin de combat passé, je me précipite sur Delam qui semble mal en point, puis nous explorons l'endroit. Une vingtaine de sarcophage sont disposés dans des alcôves creusées dans les murs de cette vaste et lugubre salle. Kasastan en fait le tour avec Dalem et repère 4 cercueils fermés, les autres contenant les restes d'humains habillés de lambeaux de robes blanches. La scène semble surréaliste. Le silence est seulement troublé par le murmure des plaintes qui s'élève au dessus de nous.
Une épée gravée de symboles étranges est retrouvée sur le corps du chef des deux fois nés. Et dans l'un des cercueils qui étaient fermés, nous retrouvons également le corps de Stoat, comme l'atteste un journal de voyage que l'on retrouvera sous son corps. Il est allongé sur le ventre, la poitrine percée de trois trous béants mais qui ne transperce pas totalement sa cage thoracique. J'estime que sa mort remonte à au moins une vingtaine d'années au vu de l'état de décomposition avancé que présente son cadavre. Dans un coin du cercueil se trouve une vieille lampe à huile et à sa ceinture une bourse dont le contenu ne semble même pas intéressé Inès. J'ouvre le livre abîmé. Il est taché de sang et la majorité des pages ont été déchiquetés par les mêmes piques qui ont du causer sa mort. J'arrive néanmoins à en déchiffrer quelques parties.
Le début du journal raconte son périple qui le mena jusque dans les Kerns. Il ne semble pas avoir apprécier le voyage et une longue énumération des raisons qui ne font pas de lui un aventurier finit par me lasser. Je feuillette les débris de papier jusqu'à tomber sur les dernières pages de son récit. Il a apparemment affronté les même dangers que nous autre et a fini par se réfugier dans ce qui devait finalement devenir son propre cercueil. Les dernières lignes sont intrigantes. Elles font références à une sorte de code : « Allongé sur le ventre, main droite, pied gauche, pied droit, main gauche ». Je me remémore la position du corps tel que nous l'avions trouvé et constate qu'il se trouvait couché, les bras et les pieds étendus en direction des quatre coins du sarcophage. Après une inspection plus poussée d'Inès, nous découvrons la présence de boules suspectes à ces endroits. Ainsi que trois petits clapets au niveau de la poitrine du défunt.
Je me recule alors un peu et me bourre une pipe. J'aime méditer en fumant, la saveur acre du tabac focalise mes sens et aide ma concentration. Pendant ce temps Inès tente diverses expériences à l'aide de Dalem sous le regard perplexe de Kasastan et la méfiance protectrice de son frère. Mais leurs actions ne me semblent pas judicieuse et ce qui devait arriver, fatalement arriva. Alors qu'Inès s'était faite enfermée une nouvelle fois à l'intérieur du Sarcophage et déclenchait des mécanismes, un bruit sec accompagné d'un cri puis d'un silence funeste me sortit brutalement de ma réflexion.
Jarod se précipite sur le tombeau et, avec une expression d'angoisse sur le visage, dégage le couvercle d'un unique mouvement, nous dévoilant ainsi le spectacle terrifiant d'Inès recroquevillée dans une flaque de sang ne cessant de s'étendre. Je me précipite une nouvelle fois à son chevet tentant d'arrêter l'hémorragie. L'énergie affluant une fois encore dans ma main, le sang stoppa d'inonder ses habits. Nous la sortîmes alors du cercueil et l'étendîmes à même le sol. Je pensai alors sa plaie du mieux que je pus, malgré l'obscurité. Après quelques hésitations nous décidâmes de camper dans ce sinistre endroit. Inès, gravement atteinte, ne pouvait pas être déplacer sans risquer un aggravement de son état, aussi Delam et Kasastan remontèrent afin de chercher du bois pour faire un feu. Je vidai mon Havresac en répandant mes affaires sur le sol et le leur tendit. Inès grelottait dans sa souffrance. Je pris ma couverture et l'étendit sur son frêle corps engourdit par la douleur.
Nous restâmes seuls un bon moment sans parler. Puis j'entendis les doux ronflements de Jarod qui venait de sombrer dans le sommeil avant de m'endormir à mon tour, épuisé. Lorsque je me réveillai, Jarod semblait s'activer. Les autres n'étaient pas encore revenus. Ma force renouvelée, je me concentrais et j'achevai de soigner Inès qui m'expliqua dans quelles conditions les pointes étaient sorties, lui déchirant le flanc. Ils décidèrent alors de remonter voir ce qui avait bien pu leur arriver, me laissant dans le noir sur ma décision. Je voulais encore méditer sur ce mécanisme étrange.
Je m'allumai une pipe à la lueur de laquelle j'observais le sarcophage piégé. Nous avions déjà évoqué l'idée que Stoat se fut trompé de sens, changeant fatalement l'ordre des pressions exercées. Et Inès, bien que respectant l'autre sens, avait été lente, tentant avec des torches de bloquer les capteurs les uns après les autres. La solution me parut alors évidente. Mais l'erreur pouvant être fatale, je décidai de prendre quelques précautions. Je remis alors le cadavre desséché de l'infortuné en position dans le cercueil. Allongeant la tente par-dessus, je pénétrais dans le cercueil, disposant autour de l'empilement quelques affaires indispensables comme une torche et mon bâton et enfournant dans mes poches ma blague de tabac et mon briquet. Puis refermant avec peine le lourd couvercle, je m'étendis sur le ventre, au dessus de l'assemblage, dans le sens inverse qu'avait été initialement celui de Stoat. Tendant les bras et les jambes en direction des quatre coins, je pris ma respiration, et j'enchaînai rapidement la séquence. Un déclic se fit entendre, suivi d'un basculement vers le bas de l'ensemble vidant le cercueil et ses occupants dans une pente taillée à même la roche.
Une plainte stridente me vrilla les oreilles, mais je ne perdis pas mon sang froid. J'allumais ma torche quelques secondes pour découvrir une salle d'où huit tunnels s'échappaient. Patiemment, je gravis la pente que je venais de dévaler pour constater que le sarcophage s'était refermé, bloquant la sortie. Me voilà coincer. Je m'assis par terre, allumant ma pipe dont la douce lueur m'apporta peu à peu du réconfort. Les plaintes continuaient de tenter de s'infiltrer dans mon esprit, mais désormais, peu m'importait, la quiétude que me procure une bonne bourre de tabac me permis de supporter sans effort leurs assauts incessants et au bout d'un moment je décidai d'emprunter l'un de ses tunnels.
Discrètement, je m'avançai dans celui qui me faisait face. Il était long d'une trentaine de pas et finissait par une salle ronde, sans ouverture, au centre de laquelle trônait un piédestal vide. Rien de remarquable en dehors de ça. Après un dernier coup d'œil, je m'en retournais vers la salle centrale, décidé à explorer les autres tunnels un par un et ne tarda pas à découvrir qu'ils présentaient tous la même configuration. Cependant, dans la sixième, sur le piédestal, je vis miroiter à la lumière du foyer de ma pipe des reflets métalliques. Je m'approchai et découvrit un magnifique objet d'orfèvrerie, un collier de pierres précieuses majestueux. Il n'y a aucun doute, il s'agissait de l'objet de notre quête, le droit de naissance. Tendant la main vers le joyau, je me ravisais tout d'un coup, me rappelant que le qualificatif « souillé » avait été employé pour le désigner dans l'une des lettre de Belilund. Tirant de ma poche un morceau de tissu, je l'emballai sans le toucher et remit le tout au fond de celle-ci. Puis je repris la direction de la seule et unique sortit de cette crypte, espérant que mes compagnons ne tarderaient pas à arriver.
Alors que j'arrivais en dessous du cercueil, j'entendis mon nom prononcé par Inès. Après avoir échangé avec elle quelques paroles lui précisant comment ouvrir le cercueil sans risque, elle déboula dans le tunnel et s'effondra à mes pieds, terrassée par les plaintes, les deux mains crispées sur ses oreilles, dans une posture de prostration. Je me penchai sur elle afin de vérifier que seule la terreur était l'origine de son mal lorsqu'à son tour, Delam glissa de la pente à ses côtés. Je finis par prendre l'initiative d'informer les personnes se trouvant encore au dessus que le sarcophage se refermait à chaque fois et qu'il n'était pas judicieux de descendre avant d'avoir trouvé un moyen de bloquer le dispositif en position ouverte. Fouillant dans le sac d'Inès, Delam trouva un pied de biche et il se mit en position près de l'ouverture. Une nouvelle fois, le mécanisme fit basculer la dalle de pierre et cette fois-ci nous délivra Thorson* accompagné de quelques épées et d'un bloc de pierre sans aucun doute prélevé sur un autre sarcophage. Alors que le bloc de pierre glissait en même temps que Thorson, Delam figea le pied de biche dans la fente séparant la dalle de la roche, ramassa une des épées et la planta également. Le dispositif grinça en vibrant et un claquement sec mis fin à l'élévation de la dalle.
Thorson à son tour se pencha sur Inès, toujours prostrée. Il murmura une prière et le visage de celle-ci se détendit, visiblement apaisé par ces paroles rassurantes. Delam partit explorer la crypte tandis que des coups sourds étaient portés sur le couvercle du cercueil. L'obscurité, les plaintes, la fatigue commençait à me porter sur les nerfs et je me mis en position de sortir de cet endroit sinistre, sur la dalle coincée. Lorsque le couvercle finit par céder, des débris me tombèrent dessus, mais ce désagrément était bien faible face au soulagement que je ressentais de voir bientôt se terminer cet épisode lugubre de notre quête. Me relevant, j'observais mes camarades et avec amusement je m'aperçu que je ne leur avait pas encore révéler ma trouvaille. Je décidai de m'amuser un peu à leur dépend et je les laissai mariner dans leur déconfiture face au vide absolu de la crypte quelques temps. Puis je partis dans un fou rire en sortant de ma poche le joyau. Je vis les yeux d'Inès se mettre à briller avec une intensité que j'avais rarement vue chez elle, lorsqu'elle s'approcha de mes mains tendues. Elle dit en bégayant à moitié : « Mais ça vaut au moins 20 000 pièce d'or ce truc... et encore s'il n'est pas magique !
- Il l'est, affirma Kasastan, d'une voix ne laissant pas de place au doute.
Sur ces paroles, le silence se fit. Cet objet avait de forte chance d'être maléfique, nous le savions tous. Je le recouvris du tissu avant de le remettre soigneusement au fond de ma poche.